Ne me racontez pas d’histoires !

Illustration @crédit photo Groupe ACPPA EHPAD Constant

Illustration @crédit photo Groupe ACPPA EHPAD Constant

Cette histoire commence en 2013. À 86 ans, ma belle-mère est autonome. Elle vit seule depuis 30 ans. Sa vie est rythmée par les parties de Scrabble et de Rummikub avec ses amies et voisines, mais aussi ponctuée par les anniversaires des enfants, petits-enfants, fêtes de famille, et surtout par la traditionnelle fête des conscrits. Pour ma belle-mère, c’est une tradition importante que l’on se doit de respecter et de ne pas rater.

 

Des habitudes de vie qui, progressivement, ne peuvent plus se vivre « comme avant »…
Pourquoi ? Et bien tout simplement, la dépendance, qui ne dit pas son nom, s’installe doucement  ! On commence à réfléchir à « qu’est-ce qui serait le mieux pour elle ? » Question
absurde, le mieux pour nous tous, n’est-ce pas de rester chez soi ?

En trois ans, se succèdent plusieurs allers/retours à l’hôpital. À chaque nouvelle hospitalisation, les professionnels de santé nous aiguillent, nous proposent différentes aides… et progressivement, nous découvrons un nouveau vocabulaire : «  prise en charge — GIR — SSAD — APA  »…

Du maintien à domicile…

Alors, nous APPRENONS à “prendre en charge” l’organisation des services du maintien à domicile. Mais, nous comprenons ce mot d’une toute autre manière… Notre mère est devenue une charge, un fardeau… Et une sorte de tristesse s’installe.
Lorsque l’organisation des services à domicile se met en place, c’est un soulagement. Nous, les enfants, sommes rassurés.
Au fil des années, des réajustements seront nécessaires. Toujours avec la même question « combien de temps cela va-t-il tenir » ?
La dépendance évolue et un jour, c’est la chute de trop !

Malgré son opposition, la situation nécessite une entrée en EHPAD. Alors commence le parcours du combattant. Nous découvrons un monde où il faut remplir des dossiers et encore des dossiers… visiter plusieurs établissements afin de trouver le mieux pour elle et le moins douloureux pour nous. Parfois, nous ressortons d’une visite tristes, dépités et paniqués… D’autant plus que les professionnels nous signifient qu’il serait préférable de recueillir son consentement.

… A l’EHPAD

Il est impossible, pour nous famille, de se projeter dans le monde de la dépendance.
Alors avec beaucoup de maladresse, nous commençons à lui dire : « Tu verras, maman, cela sera mieux pour toi là-bas ». “Là-bas “ car on n’ose pas dire “ maison de retraite “ et encore moins “EHPAD “.
« Ne me racontez pas d’histoire, je sais très bien ce que vous voulez tous » ! Cette phrase résonne encore dans ma tête, car je l’avais déjà entendue quelques années auparavant avec ma propre maman « Ne me raconte pas d’histoires, ma fille… »

Passer le relais…

Après un séjour temporaire de 3 mois, l’illusion qu’elle pourrait récupérer un peu de son autonomie, c’est l’entrée en EHPAD.
Pour le dossier d’admission, il faut à présent expliquer et réexpliquer à des professionnels la situation, le contexte.

Arrive enfin la signature du contrat de séjour… à ce moment-là, nous éprouvons un autre sentiment difficile à décrire : mélange de soulagement, de culpabilité, mais surtout… cette signature !
Ce n’est pas normal, les enfants ne signent pas à la place des parents, sauf si nous sommes des adolescents rebelles !
Les professionnels nous sollicitent pour raconter ses habitudes de vie, ses désirs, ses attentes…

Le dossier d’admission fait, on nous explique le fonctionnement de l’établissement et nous replongeons dans ce vocabulaire étrange… “Recueil de données”, “histoire de vie “, “projet de vie personnalisé “… Nous sommes invités à des rencontres pour tout expliquer.
Comment relater et résumer l’histoire d’une vie, des habitudes de vie, qui n’ont cessé d’évoluer ? Impossible… De toute manière, tout ce que nous disons nous paraît étrange, car nous avons l’impression de trahir la vie privée de notre mère. Nous savons qu’elle ne serait pas ravie d’étaler sa vie, ses habitudes…
Pour qu’elle s’intègre plus facilement et se sente chez elle, on apporte progressivement certains de ses petits meubles.

Déménager : une douleur

Nous ne débarrassons pas que des meubles et objets, nous entrons dans la vie intime de nos parents. Cette intrusion nous bouleverse émotionnellement.
Comment décrire le déchirement et la tristesse de déménager l’appartement où elle a passé 43 ans de sa vie avec son mari, ses enfants ?
Nous soulevons la jolie poussière des souvenirs heureux. Toutefois, lorsque nous arrivons à devoir remplir LE carton (papiers officiels, lettre, petits objets, photos de famille, bijoux…), c’est la révélation d’une vie intime, personnelle. Cette intrusion amène chez moi quelques larmes…

Le temps de l’adaptation

« Qui va lui dire que nous avons déménagé son appartement ? »
« Elle le sait… » — « non cela ne sert à rien… » Nous restons ainsi avec la peur de lui faire encore plus de mal, avec nos doutes et nos incertitudes… Encore plus étrange, on lui dit « maman, tu es chez toi », mais elle nous regarde avec de grands yeux et dit simplement « Vous avez réussi à m’enfermer ».
Et puis le doute s’installe, avons-nous choisi le bon établissement ? Les professionnels sont-ils à la hauteur ?À chaque visite, la fratrie se téléphone, « Alors comment l’avezvous trouvée aujourd’hui ? »
Et puis, vient le temps où on la voit sourire à un professionnel, alors qu’elle vient de nous
“jeter “. Pas toujours facile à accepter…

 

Aujourd’hui, l’histoire s’écrit au jour le jour. Elle reçoit régulièrement la visite de ses amies, « elles ne l’ont pas abandonnée ».

Au fil des visites, nous la voyons évoluer. Lorsqu’elle est sereine et souriante, nous quittons l’établissement tranquille, en nous disant « nous avons fait le bon choix » ; les jours où elle est moins en forme, nos incertitudes reviennent et nous repartons avec le doute et la peur d’un appel téléphonique qui annoncerait la fin d’une histoire de vie.

Marie-Jeanne VERCHERAT
Consultante Formation,
ICFG Ingénierie Conseil Formation en Gérontologie